Le nouveau directeur

Un nouveau directeur a été engagé cette année.

Il est arrivé en juin pour faire connaissance avec l'équipe.
D’emblée, il a manifesté de l’hostilité à mon égard. Pour lui, tout ce que je faisais, tout ce qui me concernait de près ou de loin, voire même tout ce qui était supposé me concerner était négatif.
C’en était arrivé à un tel stade en ce début d’année que j’ai voulu rédiger une lettre pour mettre les choses au point avec lui.




Vendredi 22 septembre


    Monsieur le directeur,

    Je voudrais vous exprimer mon ressenti par rapport à nos derniers échanges et, plus généralement, faire le point sur le mode de communication qui s'est installé entre nous.

    Je dois d'abord commencer par vous avouer que j’ai été très surprise par la tournure que vous avez donnée à notre tout premier entretien, fin de l'année scolaire passée.
Il y avait beaucoup de « trop », de « pas assez », de jugements et de sentences définitives à mon égard dans cette première rencontre.
Vous avez exprimé une opinion péremptoire et bien tranchée à mon sujet alors que vous arriviez à peine à l’école et que, jusque-là vous et moi, nous ne nous étions adressé la parole que pour nous dire bonjour ou bon appétit.

Ce jour-là, vous m’avez affirmé :

    — Tu parles trop de ta pédagogie.
La collègue qui vous accompagnait, en a profité pour glisser : — Ah ça c’est vrai, ton enthousiasme fait peur !

    — Tu fermes trop ta porte aux autres. D’ailleurs, beaucoup de tes collègues m'ont dit qu'ils ne voulaient pas travailler avec toi. Et cette femme, là, qui vient dans ta classe, qu’est-ce que c’est que ça ? On ne fait pas entrer n'importe qui dans l'école comme ça !
Il n’est pas marqué « école Freinet » au-dessus de la porte d’entrée ici. Tu devrais peut-être changer d’école.

Vous avouerez que c'était une entrée en matière et une façon de faire connaissance pour le moins singulière.

Quelques jours après, vous me déclariez :

    — Tu exerces ton métier de manière passionnée, mais moi aussi dans le mien je le suis tout autant. Je suis comme un tigre et je me battrai jusqu’au bout.
Une étrange mise en garde comme si le seul fait d'être passionné constituait pour vous une sorte de menace ou une opposition implicite.

    Plus tard, vous avez imposé à l'équipe le programme « PARLER ».
Le terme « imposé » est approprié. 
Il s’agit d’une méthode d'apprentissage de la lecture venant de France qui est destinée aux écoles en difficulté et est actuellement testée en Belgique par des chercheurs de l'ULg dans le cadre du Pacte d'Excellence. Cette étude est facultative et doit être lancée sur base volontaire.
(Pour plus de détails sur le programme PARLER, cf. article concerné).

Le programme a été présenté à l’origine par le PO lors d’une séance d’information et nous avons choisi de ne pas le faire.
Une deuxième présentation nous a ensuite été faite par des membres de l’ULg et nous avons à nouveau confirmé ne pas vouloir l’entreprendre.

Fin juin, vous êtes revenu vers nous en déclarant vouloir nous faire une nouvelle présentation. Après un résumé sommaire du programme (le troisième auquel nous avions droit, donc), vous nous avez exposé l’alternative possible en cas de refus : nous changer de cycle. En précisant bien : — Ce n’est pas du chantage, je ne peux pas vous obliger à faire ce que vous ne voulez pas faire.
Le 1er septembre, vous nous avez demandé de voter sur-le-champ notre adhésion au programme en prétextant une quelconque «urgence ». Ce qui a empêché les gens de prendre le temps de s'informer correctement et donc de pouvoir voter en connaissance de cause.

En ce qui me concerne, j’ai pris la peine de lire l’entièreté des documents et manuels du programme PARLER, pendant mes vacances.
A la rentrée, je vous ai exposé les éléments positifs qu’il contenait et le problème que me posaient malheureusement certains points précis (l’apprentissage du nom des lettres et le chronométrage de la lecture). Vous m'avez vous-même avoué ne pas avoir lu ces documents.

J'en ai conclu qu'il ne m'était pas possible d'appliquer ce programme puisque, sur les 2 points relevés, il allait à l’encontre de mon expérience sur le terrain. Et ce n’était pas de la mauvaise volonté de ma part, au contraire, j’aurais été heureuse de participer à un projet porteur pour l’équipe. Mais je sais pertinemment que cela ne fonctionne pas, que l’énoncé du nom des lettres est contre-productif pour l’apprentissage de la lecture et que le chronométrage peut s’avérer inhibiteur voire néfaste pour les enfants (étant moi-même dyslexique, je parle en connaissance de cause et je n’imagine pas soumettre un enfant à la pression d’un chronomètre, sans compter la compétition malsaine que cela peut générer dans la classe).
Malheureusement, aucun amendement ne pouvait être apporté au programme. Bien que cela m’en coûte, je vous ai donc demandé de me changer de cycle puisque c’est l’alternative que vous aviez proposée.

Vous noterez qu’à la rentrée je ne suis pas intervenue auprès des autres, je n’ai pas « monté toute l’équipe contre vous » comme vous sembliez le craindre. C’est d’ailleurs la première chose que vous m’avez demandée, inquiet, quand j’ai franchi votre porte :
    — Tu as discuté du programme avec les autres ?

Bien sûr que non. Ce n’est pas parce qu’il ne me convenait pas personnellement que j’allais saper ce programme ou votre autorité. Simplement, ma responsabilité se situe au sein de ma classe et je ne veux pas me fourvoyer par rapport à mes convictions pédagogiques, je n’ai pas d’autre objectif.
Et, bien qu'étant la seule à avoir une connaissance approfondie du programme, j'ai laissé se dérouler le "vote" sans intervenir.

    Autre chose, vous avez récemment assumé vous-même la remédiation pour 2 enfants de 4ème année.
Vous m’avez ensuite déclaré : 
    — Ils sont en 4ème et ils ne savent pas lire ! Ils ne connaissent aucun son. Tu vois bien que ta méthode de lecture n’est pas bonne !
Je vous ai alors demandé :
    — Qui sont ces enfants ?
    — Ça na pas d’importance.
    — Si, c’est important. Dans la mesure où vous remettez ma méthode de lecture en question, je dois savoir s’ils sont passés par chez moi.

La question est d’autant plus pertinente quand on sait que la population de l’école est très mouvante. Des enfants quittent l’école au milieu de leur scolarité, d’autres de tous les âges arrivent en cours de route, etc. En moyenne, sur la vingtaine d’enfants présents en première année, à peine 3 ou 4 terminent leur scolarité à l’école.
Vous n’avez pas relevé et vous avez enchaîné : 
    — Est-ce que TOUS les enfants qui sortent de chez toi réussissent leur CEB ?
    — Je n’en sais rien, mais je pense en tout cas que ceux qui passent leur CEB le réussissent et que leurs résultats ne sont pas mauvais.
    — Je vais vérifier, c’est facile.
    
Après renseignement, je peux vous confirmer que je n’ai eu aucun de ces 2 enfants. La petite fille est une réfugiée Syrienne qui est arrivée en Belgique il y a 2 ans et qui est très souvent absente, il n’est donc pas anormal qu’elle ne connaisse pas encore les sons, quant au garçon, il a d’énormes difficultés et nous avons essayé de le réorienter plusieurs fois vers l’enseignement spécialisé mais les parents l’ont toujours refusé.

    J’ai l’impression que vous vous faites de moi une image erronée et, je le crains, un peu simpliste. Je ne suis pas votre ennemie imaginaire, je ne suis pas une espèce de Louise Michel intransigeante, le couteau entre les dents et je ne pense pas être aussi incompétente que vous le prétendez.
Peut-être serait-il temps que vous vous fassiez votre propre opinion à mon égard en accordant un peu moins de crédit aux "on dit" et aux bruits de couloir. Cela permettrait sans doute aussi de mettre fin à l'agressivité que vous me témoignez depuis le début.

L’année dernière, des observateurs extérieurs ont procédé à un audit pour faire le point sur les faiblesses et les carences de l'école. Je comprends d’autant moins votre attitude dans la mesure où le rapport de cet audit s’est révélé plutôt positif à mon égard.

Ma seule ambition, ma vocation et ma fonction, c’est de faire grandir les enfants à l’école.
Je pense aussi sincèrement que ma place est bien ici, auprès de cette population.

    Vous m’avez aussi prédit que je devais me préparer à "beaucoup d’autres affrontements" avec vous dans l’avenir. C’est ce que vous avez justifié plus tard comme étant de la “franchise” alors que ce n'était que de l'hostilité et certainement pas l'expression d'une volonté d'apaisement.
J’aimerais pourtant que vous mettiez de côté cette logique de l’antagonisme dont vous faites preuve car cela se traduit par une agressivité déplaisante et totalement stérile à mon égard.

Si vous nous accordiez un peu de temps à tous les deux en évacuant les idées préconçues, je suis sûre que vous parviendriez à la conclusion que je peux devenir une partenaire utile et qu'en réalité je me situe davantage du côté de la solution que de celui du problème.

En attendant et pour mener à bien ma mission, il serait bon que vous me permettiez de retrouver au plus tôt un climat de travail serein et bienveillant.
Tout le monde s’en portera mieux, à commencer par les enfants qui font toujours les frais des excès des adultes.

    Je vous remercie de l’attention que vous aurez apportée à cette lettre.

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J’ai donné à lire cette lettre à des amis et ils m’ont convaincue de ne pas l’envoyer. D’après eux, je contestais trop de choses et cela pouvait se retourner contre moi d’autant que le directeur pouvait nier en bloc ce qu’il m'avait dit en tête-à-tête.
J’étais d’accord avec eux mais je devais quand-même faire quelque chose. L’envoi de cette lettre aurait été une manière d’acter son attitude. On était au tout début de l’année. Avec l’échantillon que venait de me donner ce personnage sur une si courte période, je redoutais que la situation dégénère complètement les jours suivants et je devais à tout prix me protéger.

Finalement, j’ai trouvé une solution : je lui ai signalé que j’estimais son comportement particulièrement hostile à mon égard et que je souhaitais dorénavant être accompagnée par la déléguée syndicale lors de nos futurs entretiens. J’allais avoir un témoin avec moi et j’espérais que cela fasse baisser d’un cran son agressivité.

J’ai constaté plus tard que ça n’avait fait que l’attiser.

 

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