Mon point de non-retour



Élise est une ancienne institutrice de l’école qui venait nous aider bénévolement.
Pour y avoir enseigné plus de 40 ans, elle connaissait notre école et sa population mieux que personne. Elle avait aussi travaillé plusieurs années dans l'enseignement spécialisé, on pouvait donc bénéficier de son approche des enfants en difficulté. Son expérience n’avait pas de prix et c’était une très grande chance de l’avoir parmi nous.

Elle s’investissait sans compter, notamment auprès des enfants de ma classe. Bien que retraitée, elle était toujours un membre actif de l’équipe à part entière (elle était présente 4 jours par semaine). 
Grâce au travail que nous accomplissions ensemble, un respect s’était rapidement installé entre elle et moi. Peu à peu, le respect s’était transformé en connivence et puis en réelle amitié.

C’est elle que le nouveau directeur avait appelée “cette femme-là”, lors de mon premier entretien avec lui, en précisant qu’on ne pouvait pas faire entrer “n’importe qui” dans l’école.
Il n’a jamais accepté la présence d’Élise dans nos classes. Il lui manifestait d’ailleurs ouvertement son hostilité de toutes les manières possibles, il ne la saluait pas le matin par exemple.

Très vite, il a exigé qu’elle n’apporte plus son aide seulement aux enseignants qui en avaient fait la demande mais à l’ensemble du cycle, ce qu’elle a accepté de bon cœur. D’ailleurs, l’objectif premier d’Élise avait toujours été d'aider tous les enfants de l’école et pas nécessairement une ou deux classes en particulier. Ce sont les circonstances et les habitudes qui l’avaient amenée à s’investir principalement dans ces classes.

Mais quelques jours plus tard, le directeur s'est ravisé et il lui a demandé de ne plus rentrer dans les salles de classe et d’assurer la remédiation dans un local séparé. Là, ça changeait tout. Car c’est en étant présente dans nos classes qu’Élise était la plus utile. Elle permettait de prendre en charge un nombre plus important d'élèves individuellement. En étant chaque jour aux côtés des enfants, elle a pu identifier les difficultés de plusieurs d'entre eux. Grâce à elle, ces difficultés qui avaient échappé aux institutrices ont pu être détectées “à la racine”, cela a permis d'intervenir et de corriger le tir rapidement avant qu'il soit nécessaire de recourir à la remédiation, justement. Avant que la difficulté ne se transforme en problème.

Bref, pour convaincre le directeur de pouvoir garder Élise dans nos classes, nous avons élaboré avec mes collègues un projet pédagogique et un horaire que nous lui avons soumis pour approbation.

Malheureusement, il a très mal pris la chose et a vu ça comme un acte de résistance à son autorité. Il a donc demandé à Élise de ne plus se présenter à l’école.

Nous avons tous été sous le choc quand elle nous l'a annoncé et j'ai aussitôt voulu tirer ça au clair avec lui. Il m’a rétorqué que le renvoi d'Élise s’était fait avec l’accord du PO et constituait une punition contre moi, parce que je n’avais pas accepté d’appliquer le programme PARLER dans ma classe (une méthode de lecture issue du Pacte d’Excellence et mise à l'essai sur base volontaire). C’était donc ma faute s’il avait dû la renvoyer.
Dans la foulée, il nous a averti que si un membre de l’équipe lui désobéissait encore, il ouvrirait un dossier disciplinaire contre lui et qu’au bout de plusieurs remarques, il pourrait le mettre à la porte.

Voilà. On en était là.
Dans le seul but de me punir, il s’en prenait à une personne de grande qualité comme Élise. Et ce sont les enfants qui allaient être victimes en les privant de l’aide qu’elle leur apportait.
Certains enfants sont en grande difficulté dans notre cycle et Élise était la seule aide extérieure dont on disposait. Une école comme la nôtre pouvait-elle s’offrir le luxe de se passer de telles bonnes volontés ?

Cela aurait dû naturellement susciter un mouvement d'indignation. Quelques mails ont bien été échangés, mais il n’y a pas eu de mouvement. Par contre, l’équipe s’est divisée : les plus anciens qui connaissaient bien Élise ont été scandalisés, les plus jeunes n’ont pas osé prendre parti, certains se sont regroupés par stratégie autour du directeur. En tout cas, quelque chose s’est cassé dans l’école, définitivement.

Le renvoi d'Élise a eu lieu à peine quelques semaines après la rentrée des classes.
Comment ce nouveau directeur a-t-il pu prendre cette décision sans chercher à mieux connaître Élise ni même tenter de dialoguer avec nous ? Comment le PO a-t-il  pu accepter de renvoyer sa plus ancienne enseignante, un des piliers de l'école qui offrait tout son temps aux enfants sans jamais rien demander en retour ? Et enfin, pourquoi l'intérêt des enfants n'a-t-il jamais été pris en compte dans cette affaire ?

Le seul fait que ce genre d'événement puisse se produire constitue en soi un problème et pose question. L'erreur serait de croire qu'il s'agit d'un simple conflit entre 2 personnes.

Je pense que malheureusement le Pacte d'Excellence crée un contexte propice à ce type de comportements. Car il renforce l'autorité des PO et met une pression particulière pour atteindre des objectifs contraignants.

À peu de chose près, le schéma qui a conduit à cette situation est le suivant : un nouveau directeur a été engagé en remplacement du précédent qui prenait trop ouvertement la défense de l'équipe. Ce nouveau directeur a éprouvé une sorte d'urgence à imposer son autorité. Il a craint ne pas pouvoir satisfaire les attentes de son Pouvoir Organisateur en raison du leadership supposé d'une enseignante (moi) dont la pédagogie était en complète contradiction avec les méthodes du Pacte d'Excellence que le PO voulait introduire dans l’école. Il s'est donc efforcé de casser ce prétendu leadership. Le PO lui aura donc donné carte blanche et validé tous les procédés qu'il jugerait nécessaires.

C'est la première fois qu'on assiste à ce genre de choses dans notre école et cela correspond au moment précis où le PO décide de nous faire devenir une école pilote pour le Pacte d’Excellence.
D’ailleurs, les menaces proférées par le directeur reposent sur le dispositif du Pacte destiné à lutter contre ce qui est appelé : “la mauvaise volonté” des enseignants (Avis n°3, page 184). Manifestement, c’est une culture de la menace et de la punition qui est en train de se mettre en place et c’est très inquiétant.

Encore une fois, j'espère avoir vécu une situation particulièrement caricaturale et que personne d'autre ne sera amené à vivre ça. Mais je crains malheureusement que les conditions soient désormais réunies pour que ce genre de choses se reproduise ailleurs. Tout dépendra des enjeux et de la personnalité des protagonistes.

 

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