Les copiés-collés de la ministre

On s’en souvient, la façon dont a été conclu le marché entre McKinsey et la FWB pour l’accompagnement du Pacte d’Excellence n’est pas des plus nettes.

Dans le calcul de l’offre, McKinsey a fait appel à des fonds privés agissant comme mécènes pour couvrir ses prestations. Les soumissionnaires concurrents n’ont pas été avertis de la possibilité de recourir à du mécénat, cela a permis à McKinsey de déposer une offre à un montant inférieur de moins de la moitié du plafond budgété, ce qui fut déterminant dans l’attribution du marché.

Pourtant, ce n’est pas tant sur ces irrégularités qu’il faut s’attarder mais plutôt sur la façon dont a été rédigé le cahier des charges lui-même, car elle est très éclairante.

La Cour des comptes s’est penchée sur ce cahier des charges et elle a révélé que certains passages étaient intégralement copiés-collés d'un mémorandum que McKinsey avait remis à la ministre 6 mois plus tôt.
La ministre s’est défendue en arguant que ces textes étaient assez habituels dans les appels d’offre. Mais au vu de l’ultra-spécificité de ceux-ci, la Cour des comptes a émis de sérieux doutes et elle a conclu son rapport en exprimant son inquiétude quant à “l’indépendance de la Communauté française dans une matière d’intérêt général qui concerne l’organisation de son enseignement”.

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Quand il s’agit de simples considérations techniques comme la rédaction d’un cahier des charges, ce n’est pas très grave, même si cela reste suspect au niveau de la passation d’un marché public. Mais quand dans un document officiel comme celui destiné à la présentation du Pacte d’Excellence, on « copie-colle » des phrases du type : « L’enseignement obligatoire est donc bien un levier clé pour diminuer le taux de chômage », cela devient franchement plus problématique.
Améliorer l’enseignement serait la solution pour réduire le chômage ? D’où vient cette conclusion ? Qui a établi ce rapport de cause à effet ? La réponse est à trouver dans une conférence qu’Étienne Denoël, le patron de McKinsey Belgique, a donnée au SEGEC (la haute instance du réseau catholique) 2 ans avant la rédaction du document en question (et donc avant que McKinsey ne soit officiellement mandatée par la FWB pour réaliser son étude). Les mots utilisés sont, à la virgule près, rigoureusement identiques. Le problème est que le texte d’origine n’est pas un rapport scientifique mais l’opinion exprimée par une entreprise privée.
Les opinions de McKinsey se transformeraient donc en politique officielle par la magie du copié-collé.


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Mais tout le monde ne partage pas ces opinions car, derrière ces propos, se dessine en filigrane la vision utilitariste de l’enseignement que défend le secteur privé.
L’Observatoire belge des inégalités a étudié la question de la formation comme réponse au problème du chômage massif. Sa conclusion est que "la relation entre le niveau de qualification et le chômage n’est absolument pas établie au niveau collectif".
Pour expliquer la diffusion de cette idée erronée, le groupe de chercheurs émet l’hypothèse que l’objectif de ce discours est simplement de relayer le point de vue patronal : "pousser à renforcer les politiques publiques de formation, pour permettre ainsi aux entreprises de disposer d’une réserve de main-d’œuvre globalement mieux formée, et de préférence prête à l’emploi."

Un copié-collé littéral d’un texte donc, jusque dans l’idéologie qu’il véhicule.

Mettre en relation l’enseignement et le chômage et plus globalement, lier l’éducation et le monde économique est bien l’expression d’une idéologie. On retrouve cela par exemple en France dans l’étude d’un think tank ouvertement néolibéral (et financé par McKinsey) intitulée “Vaincre l’échec à l’école primaire” (Institut Montaigne - avril 2010) : « Si le chômage dépend de nombreux facteurs, comme la croissance économique évidemment, l’éducation joue un rôle essentiel pour l’amélioration ou la détérioration des performances de la France dans le moyen-long terme.”

En mai 2017, Ariane Baye, la vice-présidente du Département des Sciences de l'Éducation à l’ULg, programme dans ses locaux la conférence d’un éminent défenseur de l’Evidence-Based. Quand elle proclame sur son site que cette conférence va permettre de « dresser les contours d’une réforme fondée sur les preuves en Fédération Wallonie-Bruxelles », on comprend qu'il s’agit aussi d’une opinion, d’un désir (qu’elle prendrait pour une réalité). Car, même si le Comité scientifique du Pacte dont elle fait partie a réussi a introduire ces méthodes en FWB, il n’est pas (encore) question d’une "réforme" Evidence-Based de l’enseignement. Certes, elle en est convaincue, c’est même une militante de la cause Evidence-based et il n’y aurait pas de soucis si le site officiel du Pacte d’Excellence ne reprenait pas intégralement le texte de son communiqué.
Jusqu’au moment du copié-collé cela reste une opinion. Après, ça devient une ligne politique.


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Ces exemples de copiés-collés sont légions et très symptomatiques.

Les deux sources sont toujours les mêmes : McKinsey et les quelques têtes pensantes de la mouvance Evidence-Based.
Denoël, Demeuse, Baye, tous ces gens auraient d’ailleurs tort de se priver. On le voit, le politique est tout disposé à s’abandonner à leur idéologie.
Ces copiés-collés révèlent l'influence de ces "experts" sur les réformes, en dépit du processus participatif qui entretient la confusion sur leur véritable origine.

Le copié-collé mondial

Les recettes de McKinsey sont une grande source de copiés-collés un peu partout dans le monde.
Elles se retrouvent par exemple mot pour mot dans l'étude de l’institut Montaigne en France (ce qui n'est pas anormal vu l'ADN de l'institut) :
L’autonomie et la responsabilité des écoles, le renforcement du leadership des directions, etc... Et bien sûr, la nécessité urgente de réformer le système.

Bien entendu, l'OCDE suit la même ligne. En parcourant internet, on retrouve les mêmes recommandations pour d’autres pays. Par exemple, dans un rapport consacré aux réformes de l'enseignement au Mexique, elle préconise :
La responsabilisation (ou autonomisation) des écoles et la contractualisation des objectifs, le renforcement du leadership des directions, la recherche de l’excellence et toujours l'urgence de réformer le système.
http://www.oecd.org/education/school/47101323.pdf

Mêmes recommandations dans le rapport PISA de 2015 intitulé « Politiques et pratiques pour des établissements performants - Gouvernance des établissements d’enseignement, évaluations et responsabilisation ».

NB : La "responsabilisation (ou autonomisation) des écoles" et la "contractualisation des objectifs" sont des prescriptions récurrentes, elles font partie de ce qu’on appelle "l’accountability" et constituent un pré-requis indispensable pour la transformation du système vers le modèle néolibéral. On notera qu'elles ont déjà été votées chez nous avec le décret “fourre-tout” du 4 février 2016 (cf article concerné).

Étienne Denoël l'a dit lui-même : « les leçons apprises ailleurs peuvent s’appliquer à la CFB »
Version OCDE pour le Mexique : « examples from successful countries show that it can be done »
Etc..

Copié-collé
copy-paste


À la décharge de notre ministre, comment résister à la tendance ?
PISA est l’azimut à suivre au niveau mondial. Quand tout un système se construit sur le principe de l’évaluation, comment y échapper ?
L’enseignement est donc en train de se transformer en un moyen pour atteindre des objectifs chiffrés. Dans cette logique, les méthodes managériales semblent tout appropriées et il ne reste plus qu’à suivre les recettes indiquées, en un mot : copier-coller.

 

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